L’éléphant, c’est la conscience cognitive, la réflexion intellectuelle. Pour méditer, on va avoir besoin du cognitif. Mais on le dépassera. Dans un premier temps, il faut renoncer à méditer, pour apprendre à se concentrer. C’est la relation avec l’éléphant.
Certains méditants débutants sont déçus, parce qu’ils n’en retirent pas un bienfait tout de suite. C’est la société de consommation qui les pousse à cette impatience. Mais, si vous voulez jouer du piano, il vous faudra d’abord faire vos gammes pendant des heures. Cela peut paraître fastidieux et n’avoir aucun rapport avec la musique. La méditation, c’est pareil : il faut d’abord faire quelque chose dans un premier temps qui n’a rien à voir avec le bien-être de l’esprit. Il faut d’abord créer les conditions pour pouvoir méditer.
Le singe représente la turbulence de l’esprit. Ce sont les pensées qui se pressent et se succèdent de manière décousue dans notre conscience, comme un singe saute de branche en branche dans un arbre.
Vous pouvez observez d’autres détails symboliques dans cette représentation du sentier de Samatha. Par exemple, la couleur noire de l’éléphant. Cette noirceur du cognitif au début du sentier symbolise la torpeur, la somnolence. La difficulté de la méditation, c’est bien sûr le singe, qui peut partir très vite, très loin. Mais c’est aussi la somnolence. Ce sont là les deux premiers ennemis du méditant.
Heureusement, ce dernier a deux armes dans les mains, dont vous pouvez aussi observer la représentation symbolique : un lasso avec un crochet, et un couperet tranchant. Ces armes vont être utilisées pour un travail à faire contre la turbulence et la somnolence de l’esprit. Elles sont employées l’une après l’autre, dans un contexte très précis. Le méditant doit faire preuve dans leur maniement d’une très grande rigueur, d’une très grande technicité.
Question dans la salle : Qu’appelle-t-on exactement la somnolence ? Est-ce le simple fait d’avoir sommeil, ou encore autre chose ?
L’éléphant, qui est un animal très intelligent, comme la conscience cognitive, peut être à certains moments très clair, très lucide. A d’autres moments, moins.
Ce que vous devez comprendre, c’est que le vagabondage de l’esprit est toujours « le début du sentier ». Quand une personne se trouve à cette première étape, les neuroscientifiques peuvent observer, avec des techniques d’IRM, ce vagabondage de l’esprit. Vous voyez sur cette image que de nombreuses zones différentes du cerveau se trouvent activées.
Si je vous demandais ce soir de faire le calme dans votre esprit, vous y parviendriez peut-être, car vous êtes très motivés, très concentrés, et vos voisins aussi, ce qui créé dans cette pièce une ambiance particulière. C’est pour cette raison d’ailleurs que la méditation est plus facile en groupe que seul chez soi. Quand on se met à méditer tout seul, on s’aperçoit au bout de pas très longtemps que l’esprit se met à vagabonder.
Dans l’imagerie du cerveau d’une personne en méditation, les scientifiques identifient les zones qui sont en activité, c’est-à-dire les concentrations de connexions neuronales. Au début, ce vagabondage de l’esprit occasionne une grande dépense d’énergie dans le cerveau : c’est pourquoi les lamas tibétains invitent les débutants à ne pas méditer très longtemps.
Etape n° 2 : Poser plus longtemps l’esprit sur un objet
Dans cette deuxième étape, le méditant va essayer de poser son esprit plus longtemps. Pour y arriver, il existe une seule façon de faire : méditer plus longtemps. Il ne faut donc pas baisser les bras, se décourager. Si l’on ne persévère pas, alors il n’y a pas de résultats.
C’est la différence avec les techniques médicales de l’accompagnement mental des personnes souffrantes, par exemple en état post-opératoire. Cette technique de méditation guidée les aide de l’extérieur à méditer.
Observation dans la salle : C’est pourquoi il y a peu « d’élus » sur le chemin de la méditation. La nature humaine est ainsi faite qu’elle se décourage facilement. Un tri naturel se fait alors entre les personnes qui veulent débuter dans la méditation. Vous avez pris l’exemple du piano : l’expérience montre que beaucoup d’enfants débutant au piano se découragent.
Observation dans la salle : est-ce les enfants qui se découragent d’eux-mêmes, ou ont-ils été découragés ?
Quand j’ai commencé à enseigner ces techniques, je proposais souvent un stage pour perfectionner la mémoire. Je peux vous enseigner un procédé mnémotechnique mis au point par les grecs antiques il y a plus de 2000 ans : la méthode « des lieux ». C’est une méthode infaillible. Quand vous la maîtrisez, vous pouvez mémoriser une liste de nombreux termes à la première lecture. Or, j’ai pu constater que si, une personne parvient à faire cet exercice, aussitôt dix autres réussissent derrière elle. Il y a autant « d’élus » que de personnes pour suivre celle qui leur montre en premier le chemin par son exemple. Ainsi, de proche en proche, tout le monde peut faire partie des « élus ».
Question dans la salle : quelle est la bonne durée de méditation pour cet exercice de poser plus longtemps l’esprit sur un objet ?
Je dirais 10 à 15 minutes par jour au début. Après, il est possible de passer à une demi-heure. Selon les scientifiques, on observe une transformation physique du cerveau à partir de 20 minutes tous les jours pendant huit semaines. Mais, selon le Karmapa, le plus haut responsable de l’une des écoles bouddhistes tibétaines, quelqu’un de très motivé peut parcourir tout le chemin en quelques mois.
Concernant la méthode « des lieux », je vous montre cet article de presse qui relate une démonstration de cette méthode dans laquelle la personne y recourant a pu mémoriser une liste de 388 mots en quelques secondes. La méditation, c’est comme la méthode « des lieux » : dès qu’une personne a expérimenté avec succès la méditation, après, tout le monde s’engouffre derrière elle.
Pour apprendre à concentrer son esprit, au départ il faut reposer l’esprit sur un objet ou un support. Par exemple, un caillou placé entre 1,5 m à 2,5 m de moi, sur lequel je pose mon regard, sans le fixer. Et je ne bouge pas mon corps, sinon mes pensées repartent aussitôt à droite ou à gauche. J’essaie alors de rester conscient que je suis en train de méditer.
Ce support de méditation n’est pas forcément un objet matériel. Vous pouvez aussi suivre le mouvement de votre respiration, silencieusement ou en comptant intérieurement les inspirations et les expirations. Après, il est possible de conserver l’objet de méditation, mais d’enlever le support : c’est ce qu’on appelle la visualisation. Une fois la concentration suffisamment « musclée », on pourra enlever l’objet et le support : c’est la concentration sans objet. La personne en méditation peut rester complètement concentrée sans objet, ni support.
Question dans la salle : peut-on prendre comme objet de méditation l’observation de ses pensées ?
Si votre concentration est suffisante, oui c’est possible. Le vrai problème, ce sont les émotions : ce que la conscience regarde en observant les pensées va susciter des émotions, et celles-ci vont entraîner d’autres pensées.
Question dans la salle : est-ce qu’un mantra peut être un objet de méditation ?
Oui, la récitation intérieure d’un mantra peut être prise comme objet de méditation.
Si l’on fait longtemps cet exercice de poser plus longtemps l’esprit sur un objet, l’imagerie IRM du cerveau montre que ce ne sont plus les mêmes zones qui sont activées. Le problème, pour un méditant ordinaire, c’est qu’il ne dispose pas d’IRM et ne peut donc pas observer aussi sûrement ses progrès.
Quand on débute la méditation, on est envahi de pensées et l’on se décourage. Alors que chacun devrait savoir que le fait même de voir qu’on est envahi de pensées est au contraire le signe que l’on fait de grands progrès.
Etape n° 3 : Revenir continuellement sur l’objet
Lorsque je constate que je suis parti dans mes pensées, j’en reste à un simple constat, je ne juge pas. Sinon, je suis dans le cognitif, donc je continue de partir. La seule solution est le rappel : je reviens à la concentration. C’est cela la signification symbolique du lasso sur le sentier de Samatha : il permet au personnage du moine de ramener à lui l’éléphant.
Je vous propose que nous fassions tous ensemble un essai sur la respiration. Concentrons-nous sur notre respiration, sur l’air qui entre et qui sort de nos narines. Observez vos pensées.
Quelques minutes de silence s’ensuivent dans l’assistance, qui compte une soixantaine de personnes.
Voilà, c’est fini. Levez la main ceux qui ont pu rester concentré sur leur respiration durant tout ce temps ? (Moins d’une dizaine de mains se lèvent). Levez la main ceux qui sont partis dans leurs pensées, mais ont pu systématiquement revenir à leur concentration ? (Davantage de mains se lèvent). Merci, c’est une expérience très simple, mais intéressante.
Je vous le rappelle, le cerveau fait ce qu’on lui demande. Si vous avez l’habitude de faire des rappels, votre cerveau prendra l’habitude de revenir sur l’objet de votre concentration. C’est donc paradoxalement grâce aux pensées qui nous perturbent, à la conceptualisation, que l’on peut progresser. Mais si vous faites n’importe quoi régulièrement, c’est le contraire qui se produira : le cerveau prendra de « mauvaises » habitudes.
Si vous faites cet exercice tous les jours, le cerveau va automatiser les rappels. Ce n’est donc pas une capacité résultant de la simple volonté, mais acquise par le travail. Si l’on médite régulièrement, il y a automatiquement des transformations qui se produisent.
Etape n° 4 : S’éloigner moins loin et moins longtemps
Vous pouvez observer sur la représentation symbolique que l’éléphant a changé de couleur. De noir, il commence à devenir blanc. Et le lasso a rétréci, il est moins long. Cela signifie que, si vous faites ces exercices, vous ferez les rappels plus rapidement.
Vous pouvez aussi observer que l’éléphant retourne sa tête vers l’arrière : c’est un symbole de la métacognition. C’est-à-dire de l’observation de sa propre réflexion : on se regarde fonctionner.
Un lapin se trouve perché sur le dos de l’éléphant : c’est une mise en garde contre le danger de rentrer dans une « torpeur subtile ». C’est pourquoi, pour franchir les différentes étapes de la méditation, il est important de recevoir une bonne base technique et d’être bien accompagné.
Dans la « torpeur subtile », on peut avoir l’impression d’avoir moins de pensées. Or, ce n’est pas parce qu’on a fait des progrès, mais parce qu’on a endormi son esprit. Certaines personnes arrivent ainsi à s’isoler du monde dans la « torpeur subtile », alors que ce n’est pas du tout le but recherché d’un esprit clair. Alors, il n’y a plus de présence ici et maintenant, et donc plus de transformation possible.
Sur le bord du sentier, on voit apparaître des formes d’offrandes : est-ce qu’elles symbolisent des récompenses, ou plutôt des distractions ? Les deux interprétations sont possibles. D’où l’importance de l’attention, du rappel systématique.
Etape n° 5 : Anticiper les départs
Quand le lasso se raccourcit, la personne va mieux sentir les mouvements de l’éléphant. Mais c’est un résultat auquel on parvient sans s’en rendre compte, on ne peut pas le programmer de manière intentionnelle. C’est une conséquence de son travail.
Celui qui médite va alors voir naître ses pensées. Et en ne réagissant plus, celles-ci vont retomber comme une vague dans la mer. Quand on parvient à ce point, c’est le signe qu’il faut changer d’outil. Avec le couperet, vous pouvez trancher les idées à la racine, dès qu’elles naissent et avant même qu’elles se déploient dans votre esprit.
Si je reste ainsi dans la concentration sans activité intellectuelle, sans réagir, je touche à la base des pensées. Vous constaterez alors un changement dans la vie de tous les jours, parce que vous allez automatiser ce processus.
Question dans la salle : vous voulez dire que, de la somnolence, on est passé à la vigilance ?
Oui, au départ on recherche l’attention, puis pour progresser on va développer de la vigilance. Cette étape est celle de la discipline. Elle demande de garder la vigilance, et c’est plus que de l’attention qui est nécessaire.
Question dans la salle : est-ce que le risque n’est pas de se conditionner à être vigilant, au risque de produire une certaine rigidité mentale ?
Non, puisque précisément le mental n’est plus sollicité. C’est effectivement une forme de conditionnement, mais sans effet négatif, et qui est très intéressant pour nous.
Question dans la salle : vous parlez beaucoup du raisonnement. Mais, quid de l’émotionnel, qui n’est pas raisonné ?
Les pensées et les émotions sont liées. A partir du moment où vous pouvez observer les pensées sans réagir, vous êtes bien parti pour observer les émotions sans réagir. L’attention n’est pas le raisonnement.
Je vais prendre un exemple. Vous avez tous été amoureux un jour, éprouvé le coup de foudre. Alors le monde s’arrête : est-ce que vous allez vous mettre à penser à votre tondeuse à gazon quand vous contemplez la personne que vous aimez ? Eh bien, la méditation, c’est aussi une histoire d’amour.
La force que les Tibétains vous invitent à développer, c’est d’abord l’attention, ensuite la vigilance.
Etape n° 6 : Pacifier l’esprit
Vous voyez que, dans cette étape, le moine est passé devant l’éléphant au lieu de le suivre : cela signifie qu’on a pris la main sur le raisonnement.
La personne qui a persévéré, fait tout ce travail, est assurée de parvenir à cette étape. On peut tous y arriver. Et on sait qu’on y est arrivé. On développe alors des « siddhis », des facultés que les autres n’ont pas.
Je reviens aux neurosciences. L’INSERM de Lyon a procédé à l’expérience suivante : on fait défiler des images à une vitesse subliminale, qu’un être humain normal ne peut pas voir consciemment. Eh bien, un méditant suffisamment expérimenté peut les voir. Cela veut dire que le méditant à ce moment voit des choses que les autres ne voient pas. Il développe des pouvoirs « paranormaux ». Ce phénomène n’est pas encore explicable par la science traditionnelle, on est dans le quantique.
Le risque, lorsque l’on a développé de telles capacités, c’est que l’on va avoir très envie d’enseigner ces techniques de méditation aux autres. C’est ce que symbolise l’arbre sur le bord du sentier, où le singe est monté pour en cueillir les fruits. Vous pouvez aider les gens, mais vous avez quitté le sentier de Samatha. Cet arbre avec le singe, c’est une invitation à savoir où placer le curseur. Aujourd’hui en France, on n’est plus au Tibet, où vous pouviez vous retirer dans une grotte aussi longtemps qu’il vous semblait bon. Il faut trouver un bon équilibre entre vos activités et le travail pour vous.
Au bout d’un moment, vous allez automatiser le couperet comme le lasso. Vous serez alors dans une certaine quiétude et dans la vigilance sans effort. Vous aurez à dépenser moins d’énergie cérébrale pour demeurer dans un état de méditation.
C’est ce que signifie le bouquet de flammes sur le bord du chemin : on assiste alors à une inversion ; la méditation n’est plus un effort et, au lieu de dépenser de l’énergie, vous allez en gagner.
Etape n° 7 : Pacifier complètement l’esprit
Vous atteignez alors une vraie quiétude. Mais vous voyez que le singe est toujours là. C’est la pacification de l’esprit. La personne qui médite sait alors pourquoi elle travaille, et la pacification gagne sa vie de tous les jours.
Les techniques de l’IRM appliquées à Matthieu Ricard et d’autres grands méditants montrent que toutes les différentes zones du cerveau activées dans les étapes précédentes sont arrêtées, sauf une.
Si vous arrivez à ce niveau et avez la sagesse de rester longtemps à méditer, vous allez entrer dans l’absorption de la méditation. Le cerveau cognitif va complètement s’arrêter, mais la conscience demeure. Elle n’a jamais été aussi claire, aussi parfaite.
Souvent, on ne se rend pas compte que l’on a atteint ce stade avant la fin de la session. Il n’y a plus d’effort, plus de perturbation, plus de somnolence. Prendre conscience d’une absorption méditative en cours de route signifie que l’on en sort.
Etape n° 8 : Rester concentré sur un seul point